22 décembre, 2010

De la rigueur scientifique, des comités de lecture et des hypothèses farfelues

Je parcoure régulièrement les blogs de sciences anglophones ou francophones. Certains comme celui d'Enro sont intéressant à plus d'un titre. Enro est un ingénieur agronome qui se pique de sociologie des sciences (en fait, il a fait un Master de sociologie des sciences). Je trouve toujours les sociologues des sciences intéressants ; quand je les lis ou les écoute, il me vient l'image d'un cheminot à qui un pékin moyen expliquerait comment faire marcher la loco : j'écoute poliment mais je n'en pense pas moins.

Parmi certaines questions qu'Enro pose, il y a celle de la diversité en sciences, de la « liberté d'opinion » de certains scientifiques qui seraient bafoués par leurs pairs. On ne peut que souhaiter qu'il y ait une certaine diversité en sciences, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nombre de chercheurs se sont battus pour empêcher la destruction programmée du CNRS. Mais même une recherche diverse doit reposer sur des bases solides : les hypothèses formulées doivent être en cohérence avec les faits observés. Ces hypothèses doivent être réalistes dans leur contexte. Or, pour illustrer ce plaidoyer, Enro prend l'exemple d'une revue, "Medical Hypotheses", qui s'est faite taper sur les doigts par son éditeur suite à la publication d'un article de Peter Duesberg niant que l'épidémie de SIDA en Afrique soit due au VIH. Apparemment, cet article n'a pas été relu par les pairs, comme c'est normalement le cas pour des articles scientifiques. Cela signifie que les statistiques utilisées dans l'article n'ont pas été validées, ni la méthodologie. Le résumé de cet article ressemble d'ailleurs plutôt à un éditorial ou à l'introduction d'un pamphlet qu'à un résumé d'article scientifique. L'argument d'Enro est que lorsque Einstein a publié sa théorie de la relativité, il ne l'aurait pas fait dans un journal à comité de lecture. Et alors ? Comment la communauté scientifique évaluait-elle la qualité des travaux qui lui étaient soumis ? Rien ne garantit que le système d'alors était le même que le système actuel. Faire une telle comparaison n'a aucun sens.

Mais il y a un problème plus grave, ici : celui de l'exemple qui a été choisit par Enro. Parce que sérieusement, remettre en cause des faits établis, à savoir que le SIDA est causé par le VIH, c'est remettre en cause l'utilité des antirétroviraux dans le traitement du syndrome. Or, d'une part ces traitements ont montré une diminution de la charge virale chez les patients, ainsi qu'une amélioration de leurs symptômes. Ce sont des faits largement reconnus et observés, par les médecins comme par les patients. Et soutenir des inepties pareilles, est grave. Car ici, on ne parle pas de la théorie des cordes ou autres... Ce qui est en jeu, c'est la vie des malades. Déjà que Montagnier se colle avec l'industrie de la "médecine intégrative" : pour suggérer que des aliments variés et des anti-oxydants ou autres permettent de guérir de l'infection. Comme la vidéo suivante le suggère :





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Les leçons de Wikileaks

Au-delà des révélations orchestrées par Wikileaks et diffusées, c'est important de l'écrire, par différents journaux, on peut voir un phénomène nouveau et inquiétant se faire jour : des compagnies privées qui s'érigent en juges de ce qui peut être écrit ou diffusé sur le net. En effet, comment interpréter autrement les décisions de Paypal, Visa, Mastercard et Bank Of America à l'encontre de Wikileaks ?

Les États européens - notamment la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne - ont depuis longtemps, sous des prétextes divers (pédophilie, terrorisme, protection des droits d'auteurs), le phantasme de contrôle de l'Internet. Mais là, les entreprises sus-citées ont devancé leurs rêves les plus fous. Parce que Wikileaks n'est poursuivi nulle part pour le moment. Ces boîtes donc, devancent une décision de justice dont on ne sait même pas si elle viendra. De ce simple fait, elles dénient à Wikileaks, et partant à ceux qui voudraient lire ce que Wikileaks publie ou aux nombreux blogueurs de toute sorte leur liberté d'opinion et d'action. Et les implications en sont bien sûr immenses : car on ne peut laisser à des entreprises privées le droit de déterminer ce qui est publiable ou non. C'est le boulot des juges. Et c'est un travail qui doit s'exercer en toute transparence, loin de l'opacité organisée des contrats commerciaux et selon des règles bien définies.

Ce que l'on observe, ici, ce sont les prémisses de ce qu'ACTA nous réserve. Et ce n'est pas réjouissant.

 

Pendant que l'on crie haro sur Wikileaks, rien n'est dit sur l'attitude de ces compagnies. Ce qui n'est bien sûr pas surprenant quand on voit ce que les députés de l'UMP (qui décidemment ne valent pas mieux que celui qu'ils servent) ont pu voter. Mais voilà, comme Chomsky l'a bien souvent dénoncé, une fois de plus on observe un double standard dans l'information et les mesures prises pour limiter ou protéger celle-ci.