26 avril, 2011

Quelle controverse, quel débat ?

Quand j'ai déménagé à Londres, mes anciens collègues m'ont offert un « Lonely Planet » dans lequel on peut lire que Londres a été le lieu ou la théorie « controversée » de l'évolution a été inventée. Quand il y a un sujet sur le changement climatique, certains journalistes réclament un « débat » à la recherche d'une position « médiane ». Une autre fois, sur un forum, un intervenant qui contestait la réalité du SIDA — ou du VIH comme agent infectieux responsable du SIDA — réclamait un droit à la liberté d'expression. Bien entendu, le fait même qu'il puisse s'exprimer montre que ce droit lui était déjà acquis, ce qu'il contestait, c'étaient les réactions virulentes qu'il a suscité.

Ces quelques exemples montrent bien le problème auquel les scientifiques doivent faire face aujourd'hui : un relativisme qui fait que le débat scientifique est vécu comme un débat politique, alors que les deux ont des différences fondamentales. Ainsi, comme le dit très bien Stéphane Foucart dans l'introduction de son livre « Le Populisme climatique », si la science se construit par la discussion, elle ne se construit jamais par la négociation. La nature ne négocie pas. Et, par extension, les scientifiques non plus. Au plus ils débattent des données et de leur interprétation, et il n'y a pas de voie « médiane » : si un des débatteur a raison, l'autre aura forcément tord. Mais est-ce que les controverses que j'ai évoqué plus haut en sont vraiment ?

Assurément, dans la rue, oui. Mais parmi les acteurs de la science, parmi les producteurs de savoir ? En bref, parmi ceux qui savent de quoi ils parlent ? À peine. En fait, dans les cas de la théorie de l'évolution (théorie au sens scientifique du terme, à savoir une théorie de faits qui confirment dans ce cas précis, l'hypothèse) ou dans celui du réchauffement climatique, les « dissidents » sont surtout des idéologues avant d'être des scientifiques. En outre, comme dans le cas de Claude Allègre en France, ils sont rarement spécialistes du domaine qu'ils critiquent.

Un des problèmes que le public peut avoir avec la science, c'est le manque supposé d'observations directes, comme dans le cas de l'évolution ou des sciences du climat. Or, rien n'est plus faux, au moins en ce qui concerne l'évolution. Cette exigence, si elle était prise au sérieux, transformerait les sciences en un catalogue d'anecdotes, pas franchement quelque chose d'utile à la compréhension du monde. Or, si on doit assigner un but aux sciences, c'est bien la compréhension de ce monde ; et de l'univers, tant qu'on y est. Pour ce faire, on ne peut se contenter d'observations anecdotiques, il faut mettre ces observations en contexte, les confronter à d'autres observations faites ailleurs, ce qui permettra de construire des hypothèses qui seront ensuite validées ou non, par d'autres observations. C'est le processus habituel de la recherche. Et c'est ce processus qui a permit a Darwin d'énoncer sa fameuse hypothèse, amplement confirmée depuis. C'est aussi ce processus qui a permit de conclure que le CO₂ émis dans l'atmosphère pouvait, en fonction de la quantité émise, altérer le climat de la planète.

Ce processus conduit à un « consensus » au sein des scientifiques. Ce consensus est l'interprétation majoritaire qui fait que, dans le cas de la biologie, il n'y a pas de controverse : l'Évolution n'est pas une théorie au sens vernaculaire du terme. Elle est un fait scientifique. En fait, elle est l'un des faits les mieux établis. Quand au climat, là aussi, le consensus semble large parmi les chercheurs qui l'étudient… Ces deux sujets ne sont donc pas sujets à débat dans la communauté scientifique. En fait, ceux qui réclament un « vrai » débat scientifique ont un train de retard : le débat sur l'interprétation des données a eu lieu, et il a conduit à un consensus scientifique qui est l'interprétation qui a le plus de chances d'êtres juste en fonction des données disponibles. Ceux qui réclament un « débat » ont un gros problème : l'issue de ce débat, qui a déjà eu lieu, ne leur convient pas, et donc ce débat n'a jamais existé… C'est une attitude politique, mais sûrement pas scientifique.